Le temps d'une orchidée



Laissez-moi vous raconter une histoire magique et unique : celle de Jeanne et Laurent. Ces deux jeunes gens se connurent au lycée. Ils étaient dans le même cours de littérature. Un jour, Jeanne échappa son stylo bille à côté du bureau de Laurent ; cliché et classique, oui, mais pourtant vrai. Il se pencha pour récupérer le crayon à encre et le lui redonna gentiment.

- Merci ! avait répondu Jeanne en plongeant dans ses yeux cobalt.

Ce stylo fut l’élément déclencheur qui les relierait lors de la session de printemps et des saisons qui allaient suivre. Ce stylo leur permettrait même de développer une connivence en crescendo où ils apprendraient à se connaître lors des pauses et des heures de lunch et où ils uniraient leur univers formé de deux points distincts pour en faire une ligne droite.

De ce fait, quelque chose de mystique se développait entre eux. On l’appela l’amour. Les deux étudiants prêts à conquérir le monde s’échangeaient des papiers à l’insu du professeur pour enjoliver le temps passé à l’école. Ils y griffonnaient des jeux de mots, des blagues et parfois même, des mots doux. Et bien sûr, ce qui devait arriver arriva ; Laurent invita Jeanne au bal des finissants. Elle accepta d’emblée
, rêvant de vêtir une robe or à paillettes. Quant au jeune homme aux cheveux bruns, il serait ravissant dans son complet noir et blanc. Leur avenir semblait florissant et empli de possibilités.

Trois ans plus tard, toujours aussi amoureux, ils emménagèrent dans un appartement du
quartier Saint-Roch. Ils se créèrent un nid où ils s’inventèrent d’innombrables projets pour les rapprocher encore plus l’un de l’autre. Tout allait bien dans leur quotidien planifié au quart de tour. Leur agenda était rempli et les invitations fusaient de toutes parts. Ils aimaient recevoir à la maison le vendredi soir, aller escalader une montagne le samedi et visiter leurs parents le dimanche. Leur amour continuait de grandir.

Pour symboliser leur union, ils se fiancèrent lors d’une soirée étoilée de la mi-août. Tout allait bien. Tout. Jusqu’au jour où leur relation fut mise à l’épreuve par une quarantaine imposée...

Pendant quelques semaines, Laurent, courtier immobilier de renom, dû cesser de travailler alors que Jeanne, elle, devait continuer d’occuper son poste de secrétaire de direction. Elle était appelée à travailler de la maison et à participer à plusieurs réunions virtuelles. Leur 4 et demi devint abruptement minuscule pour Jeanne qui devait se créer une bulle et restée concentrée sur son travail. La table de cuisine était emplie de dossiers et de tasses à café vides. Jeanne vivait mal ce désordre et ce changement professionnel. Elle ressentait une pression
énorme, tandis que pour Laurent, c’était tout le contraire. Il pouvait se lever à 11 heures du matin, faire de la musculation et écouter une panoplie de séries populaires en coton ouaté.

Jamais ils n’avaient connu un tel défi de couple. Ils étaient confinés dans leur petit espace avec
un « clash » colossal entre leurs deux réalités professionnelles. Ils s’étaient disputés auparavant, certes, mais pour des bagatelles : un lave-vaisselle mal rempli, le choix du mont à escalader le samedi ou la couleur de leur voiture. Néanmoins, ils avaient toujours comme leitmotiv de ne jamais poser la tête sur l’oreiller fâché ou contrarié. Or, cette fois, Jeanne se repliait de plus en plus sur elle-même et accumulait les frustrations, jusqu’au jour d’avril où tout craqua.

- J’en ai assez de cette quarantaine ; je suis à bout de nerfs ! explosa Jeanne.

Laurent la regarda, abasourdi, car il n’avait jamais vu sa copine aussi tourmentée. Il la prit dans ses bras et l’invita à s’asseoir pour discuter. Jeanne lui exposa toute l’angoisse qu’elle ressentait dans son ventre face à sa réalité nouvelle et face au futur. Son amoureux tenta de la consoler du mieux qu’il pouvait :

- Que puis-je faire pour t’aider, mon amour ?
- J’aimerais que tu me soutiennes, répondit Jeanne en sanglots. J’aimerais que tu m’encourages davantage ; c’est difficile pour moi de travailler en ce moment de la maison et de te voir libre toute la journée. C'est difficile tout court !

Et elle pleura encore. Laurent aimait Jeanne plus que tout au monde et il ne voulait pas la
perdre à cause d’un virus qui portait le même nom qu'une bière qu'il n'aimait guère. Il comprit ses demandes qu’il ne prit pas à la légère.

Dès le lendemain, il se mit à la tâche et s’impliqua davantage pour alléger le quotidien de Jeanne. Il commença même à écrire des mots doux avec le même stylo bille qui les avaient réunis, car oui, ils l’avaient conservé précieusement. C’était leur porte-bonheur.

Et, c’est là que je fis la connaissance de Laurent.

Ce beau jeune homme arriva dans ma boutique un mercredi après-midi et, d’un regard curieux, il fit le tour des lieux. Il posa son regard sur un bouquet de marguerites, puis sur des roses fuchsia, mais ses yeux s’arrêtèrent sur moi : un bouquet d’orchidées.

- Je prends celui-ci et j’aimerais y ajouter un mot. Avez-vous des cartes décoratives, s’il vous plaît ?
La fleuriste lui montra les cartes dans le présentoir. Il les regarda une par une et choisit celle avec une maison, un soleil et des arbres.

- Savez-vous ce que représente l’orchidée ? demanda la fleuriste en enveloppant les fleurs d’un papier.

- Non, répondit-il, intrigué.

Et c’est ainsi que Laurent apprit à me connaître davantage. Son instinct avait vu juste pour le choix de fleur. Mais pour cet aspect, j’y reviendrai un peu plus tard. Je poursuis mon histoire…

Lorsque Laurent arriva à la maison avec le bouquet dans les mains, le visage de Jeanne s’illumina. Elle lut ensuite le petit mot dans la carte :

« Je crois encore à notre projet ;
coche oui si tu es toujours d’accord ! »

Elle sourit jusqu'aux oreilles et elle le prit dans ses bras pendant de longues minutes. Elle plaça ensuite notre bouquet dans un pot transparent et le posa sur la table à café du salon.

Les journées de travail de Jeanne furent ensuite plus douces et fluides. Elle élaborait des listes de tâches pour le travail, plaçait
des notes autocollantes de couleur pour se retrouver dans ses dossiers et pour égayer la table de cuisine. Elle allait prendre des pauses au salon en passant embrasser son chum et elle contemplait le bouquet d’orchidées dont je faisais partie. L’harmonie était de retour. Laurent se mit à cuisiner aussi bien que Ricardo et il prit soin d’ajouter des mots doux sous les cuillères.

Quelques semaines plus tard, lors d’un souper aux
chandelles, il écrivit :
.
« Suis-moi, je t’amène vers les étoiles ».

C’est ainsi que le couple se rendit jusqu’au lieu où ils s’étaient fiancés. Laurent avait apporté une couverture douillette, puisque l’été était encore un peu loin. Jeanne se sentit touchée par toutes ses attentions. Ils se remémorèrent des souvenirs inoubliables comme lorsqu’ils avaient cherché un trèfle à quatre feuilles dans un champ de blé
d’Inde ou encore, la tradition de Jeanne de cuisiner un gâteau-pudding fraises et pommes pour les soupers du dimanche jusqu’à ce qu’elle se rende compte que sa belle-mère était allergique aux fraises ! Jeanne et Laurent philosophèrent ensuite sur la vie, comme ils aimaient tant le faire ensemble.

- On ne verra peut-être pas d’étoiles filantes aujourd’hui, mais je voulais qu’on puisse se retrouver ici, partagea Laurent d’un ton rêveur.
- Je n’ai besoin de rien d’autre que de ta présence, ajouta Jeanne en caressant ses cheveux.

Ensemble, ils constatèrent que, malgré tout, la vie était encore là à attendre. En effet, ils réalisèrent que la vie souriait encore devant une petite fille jouant dans une flaque d’eau, qu’elle dansait encore sur le fil de la vie telle une ballerine
, et qu’elle s’émerveillerait toujours devant un couple amoureux.

- Crois-tu que nous sommes seuls dans l’univers ? demanda Laurent.
- Si c’était le cas, ce serait du gâchis d’espace, répondit Jeanne.

Ils sourirent, complices. Elle prit ensuite la main de son amoureux et la posa sur son ventre en prononçant les mots qu’il rêvait d’entendre depuis plus d'un an. Ce qu'il entendit le fit
frissonner de joie :

- J’ai fait un test de grossesse ce matin…

Laurent cessa de regarder la Petite Ourse et regarda Jeanne envahi de curiosité.

- … et deux petites lignes se sont alignées ! Je voulais attendre le bon moment pour te l’annoncer, ajouta-t-elle, avec un enthousiasme débordant.

Laurent fut empli d’une joie profonde et il se rappela les mots de la fleuriste qui avait dit que l’orchidée symbolisait l’amour et la fécondité.

Il demeure indéniable que l’amour pur possède tous les pouvoirs et qu’il triomphe de tout et ce miracle en était un magnifique exemple.

Jeanne ajouta :

- Je choisis d’avoir confiance en l’avenir. Je sais qu’avec toi comme complice, il est possible de gravir n’importe quelle montagne !

C'était mon tour d'esquisser un sourire et de m'évader dans des rêveries. Je les imaginai escalader l’Everest et le
Kilimandjaro tels des conquérants du monde et de l'amour durable. Mon attention revint ensuite au moment présent où j’admirais beaucoup l’amour humain lorsqu’il est bienveillant et libre de toute attente.

Et même si les statistiques annonçaient leur venue que quatre mois plus tard, sept étoiles filantes
glissèrent au-dessus de leur regard sous ce ciel printanier.
- 1+1 = 3, ajouta Laurent, ému aux larmes.

Et, j’avoue qu'en vous dévoilant le dénouement de cette histoire magique et unique, je le suis, moi aussi.


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