La plante suspendue

🎼En ce jour international du livre et des droits d'auteurs, voici ma deuxième chronique d'une série de sept. Celle-ci fait suite à la Tulipe Ballerine. Elle met en vedette un couple de Baby Boomers et une plante verte. J'y ai mis beaucoup de coeur, d'efforts et d'humour et je crois avoir réussi à créer une histoire plus mixte cette fois : ). La voici, la voilà ! 🎹



CHAPITRE 2: LA PLANTE SUSPENDUE 🎼


Du haut de mon pot en porcelaine, je peux observer tout ce qui se passe dans la maison des Bastien. Je suis un lierre décoratif d’intérieur nommé Pothos, ou Epipremnum aureum, en latin. Je pousse en cascade et mes feuilles forment des cœurs. Mes feuilles, d’ailleurs, se donnent la main pour toujours aller plus loin…

Mon objectif est d’atteindre le sol dans les cinq prochaines années ! Chaque petite journée compte ! Je souhaite me remettre en forme après un interminable hiver.


Je suis terre à terre, persévérante et énergique ; ce sont mes trois plus grandes qualités. Mes hôtes, Murielle et Marcel, que j’appelle affectueusement les M&M, comptent 65 bougies. Je le sais, car j’ai vu le chiffre des chandelles sur leur gâteau d’anniversaire. Ils m’ont reçue en cadeau de Kim, leur coiffeuse, lors de la quarantième mise en plis de Murielle !


Ils m’ont alors transplantée dans un pot vert forêt et m’ont suspendue au plafond de la cuisine dans un filet de macramé blanc cassé. Mon pot n’a pas été fait en Chine, mais bien par l’arrière-grand-mère de la tante de Murielle ! Ce sont des êtres de famille et d’ailleurs, ils ont eu cinq beaux enfants que j’ai connus, mais qui sont désormais partis de la maison.


J’ai des qualités, oui, mais j’ai aussi un défaut de première ligne. En effet, je n’aime pas partager mon espace avec d’autres plantes. C’est MA cuisine ! Même le basilic, je le tolère, mais il me donne des boutons. À vrai dire, je n’aime pas son parfum. Et dès qu’il y a un coup de vent, c’est pire ! Son odeur remonte alors jusqu’à moi. Heureusement que mes parents d’adoption ne font pas de pesto trop souvent !


Comment je vis le confinement ? De deux façons. D’une part, je le vis bien, car je suis une plante d’intérieur et j’aime faire de l’introspection. D’autre part, je le vis moins bien, car mes hôtes écoutent le téléjournal à longueur de journée ! Et comme le téléviseur est à côté de la cuisine, j’entends TOUT. Je n’en peux plus et ça me donne moins d’énergie pour étendre mes tiges.


Bon, ils arrivent.


- Marcel ! demande Murielle, d’un ton alarmé.

- Quoi ?
- Où as-tu mis le filet mignon ? Je ne le trouve pas dans le frigo !
- Sous les pommes vertes !

Murielle pousse un soupir de désespoir. C’est normal qu’elle ne trouve pas le filet; leur frigidaire déborde de tous bords, tous côtés. Ils ont fait une épicerie monstre au début du confinement annoncé par les gouvernements. Et, depuis cette quarantaine imposée, ils sont anxieux plus qu’à l’habitude et comme je suis une éponge, je le suis aussi.


- Murielle, m’apporterais-tu un Passion Flakie ? demande Marcel lors d’une soirée cinéma maison.

- Ce n’est pas Flakie, c’est Flékie ! J’en veux un aussi !
- Quoi, tu ne veux pas tes savoureuses galettes de riz faibles en gras ?
- Non, aujourd’hui, j’ai envie d’un petit gâteau.

Marcel soupire en levant les yeux en l'air.


Ils ne sont pas possibles. Malgré leur amour réciproque, ils sont souvent en train de se picosser. J'observe qu'ils vivent un peu par procuration et ne semblent pas avoir de projets de couple. En effet, depuis le départ de leurs cinq protégés, j’ai l’impression qu’ils se sont retrouvés confinés avec le téléviseur en plein milieu de leur relation. Ils bougent peu et cette quarantaine les rend plus marabouts qu’à l’habitude. On dirait qu’ils sont obnubilés par les manchettes et les conférences de presse quotidiennes. Ils ont même oublié de me donner de l’eau cette semaine ; j’ai failli mourir de sécheresse au deuxième degré !


J’aimerais leur venir en aide, leur dire d’aller faire un tour dehors, de se remettre en forme, mais je ne peux que leur envoyer un peu d’amour du haut de mon pot en porcelaine. J’aimerais bien qu’un changement s’opère. Mais comment ?
* * *

Une semaine plus tard, mon souhait est exaucé alors que je vois soudain Murielle prendre un magazine qui traîne sur le comptoir de la cuisine. Elle l’ouvre et le feuillette tranquillement pendant que Marcel est dans le garage à construire une cabane à oiseaux.

Puis, le soir venu, au souper, je suis témoin d’une discussion entre les M&M qui changera tout.


- Je vais ouvrir la télé, dit Marcel avant de s’asseoir sur le canapé.
- Non, attends, laisse-la fermée. Il faut qu’on se parle.

Ces mots, Marcel les avait déjà entendus et il fut soudain envahi d’une inquiétude soudaine.


- Qu’est-ce qui se passe, ma chérie ?

- J’ai lu un article aujourd’hui dans le magazine Châtelaine : Sept idées pour bien vivre le confinement.
- …eh puis ? répond Marcel, intrigué et soulagé que ce ne soit pas une mauvaise nouvelle.
- Et puis il est grand temps qu’on se réveille ! Regarde-nous ; on se néglige !
- Tu as raison, répond-il en lui volant un tendre baiser.

Je suis heureuse de constater qu’ils décident de se prendre en main.


- Demain, on commence par ma teinture, car ma repousse est trop apparente et je ne peux aller voir Kim ! Irais-tu m’acheter une teinture en boîte à la pharmacie ?

- Oui, d’accord.

Alors c’est ainsi que la catastrophe a commencé avec un résultat digne de personnage de Sesame Street ! Ils auraient pourtant dû lire les instructions attentivement sur la boite de teinture, ce que l’humain fait rarement ! C’était pourtant évident : un temps de pause de 20 minutes suivi d’un rinçage à l’eau tiède. Ayant fait un temps de pause de 45 minutes, les cheveux de madame se sont transformés en champ de bataille de couleur orangée ! Et dire qu’elle avait gardé son chandail de cachemire ivoire. Résultat ; poubelle !


Ils ne se sont pas parlé pendant trois heures. Le silence m’a semblé écrasant.



* * *

Le lendemain matin, mes hôtes réconciliés dégustent leurs gaufres aux bleuets. Puis, Murielle s’écrie:


- Marcel, viens-t-en, c’est l’heure de faire notre exercice. Aujourd’hui, on essaie le Pilates !


Sacrée Murielle, toujours aussi entreprenante. Marcel accepte pour lui faire plaisir, malgré qu’il ait de la difficulté à faire certains mouvements. J’ai envie de pouffer de rire à les regarder souffrir sous le poids de leur piètre forme. Mais je leur insuffle plutôt ma force et ma vivacité de tous les jours beau temps, mauvais temps.



* * *

Deux semaines plus tard, les M&M poursuivent leur remise en forme. La vie reprend doucement son cours dans la maison et la télé se fait plus silencieuse. Or, hier le basilic est mort. Mon diagnostic est que son terreau devait être mal drainé. Je ne m’attendais pas à ce que ça me fasse quelque chose… J’ai eu un serrement au cœur quand je l’ai vu partir, mais j’ai vite été consolée lorsque Marcel a eu une idée de génie. En effet, il a décidé de couper deux de mes tiges et de les transplanter pour faire des boutures. Ils sont en train de prendre racine dans un pot de yogourt grec sur le comptoir de cuisine ! Je peux veiller sur mes bébés Pothos tranquillement et je me découvre un côté maternel que je ne connaissais pas!



* * *

Lors des jours qui suivent, je vis ma vie de plante suspendue encore plus allègrement. Mes hôtes ferment la télé, ils écoutent de la musique classique, ils font des exercices en écoutant du country et ils mangent des légumes de la ferme bio du coin. Ils ont même perdu quelques kilos ! Ils sont plus détendus et moi aussi ! Ils parlent à leurs enfants en vidéoconférence tous les mercredis soir et ils se préparent tranquillement au déconfinement. Ils sont beaux à voir. Le printemps est là et la cabane à oiseaux, elle, virevolte dehors. Tiens, voilà que je peux même apercevoir un couple de merles arriver. Ils prennent le temps de la visiter et de s'y créer un nid. C’est beau la vie !




* Vous avez aimé cette chronique du recueil "Chroniques de fleurs coupées en temps de confinement"? Si oui, abonnez-vous à ma page d’auteure Genevieve Poulin - auteure et visitez le www.cinqanges.com pour découvrir mes deux premiers romans : Cinq anges dans un 4 ½ et Chroniques du Café Morgane. Doux printemps agréable !*

Commentaires

  1. Bonjour Geneviève! Ta mère m'envoie ce beau récit! Tu as beaucoup de talent! J'ai adoré! Bravo et bonne continuité!

    RépondreSupprimer

Enregistrer un commentaire

Posts les plus consultés de ce blog

Cupidonner les autres

Chroniques de fleurs coupées en temps de confinement

Tulipe Ballerine