Tulipe Ballerine




EN GUISE DE PRÉAMBULE  🎼

Ah les fleurs, quelle magnifique création de la nature, n’est-ce pas ? Tantôt d’une beauté exubérante ou plus discrète, elles sont gages de vivacité et de romantisme. Elles égaient nos décors, nos jardins et nos parterres.


Nous les découvrirons ici, une fleur à la fois, alors qu’elles seront en tête d’affiche. Elles observeront, du coin de leurs pétales, le quotidien de leurs hôtes en confinement. Avec humour, légèreté et sagesse, la flore nous chuchotera quelques mots à l’oreille et nous fera parfois réfléchir sur notre vie d’humain en période de transformation…


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TULIPE BALLERINE 🎼

Mais qu’est-ce que c’est que ce bazar ? Les gens entrent dans l’épicerie avec des masques et des gants. Il fait 12 degrés dehors et le printemps est là ! Ils ne me regardent même pas et ne posent plus leur regard sur la section des fleurs coupées. Ils s’évitent et doivent suivre un trajet précis. En tant que tulipes, nous nous sentons minuscules et délaissées.



Nous bavardons un peu avec les autres bouquets pour socialiser en attendant celui ou celle qui voudra égayer sa semaine de notre présence.



- Ton prénom est Gerbera ? se surprend ma nièce.

- Oui, ce n’est pas le plus beau nom de fleur de la Terre, mais bon, je suis une fleur prestigieuse, répond-elle en souriant.

- En effet et rassure-toi ; c’est mieux que Glaïeul ! 


Nous pouffons de rire ! Nous aimons bien notre nom de famille : Tu-li-pe. Nous avons bonne réputation au Canada et nous sommes les stars du printemps ! Notre conversation s’interrompt alors qu’une jeune femme à l’allure bohème franchi la porte du supermarché d’un pas dansant. On dirait qu’elle sautille. Elle me lance un regard bienveillant. Pas juste à moi, mais au bouquet pourpre duquel je fais partie : mes sœurs, mes tantes et mes cousines. Nous lui faisons des clins de pétales pour qu’elle nous choisisse. Il est hors de question de terminer dans les poubelles sans avoir pu vivre notre vie de tulipe à son plein potentiel !

Je ferme les yeux un instant et je croise mes feuilles pour attirer son attention. Elle regarde les autres bouquets, mais c’est nous qu’elle achète. Je suis aux oiseaux !

* * *

Aussitôt arrivée chez la jeune femme aux cheveux dorés, elle coupe notre tige en biseau et nous place délicatement dans un vase blanc cassé. Nous nous sentons bien à notre aise, quoique Violette, ma tante, prend un peu trop de place, comme d’habitude. Notre hôtesse choisit le salon comme étant la pièce où nous nous épanouirons.

Nous regardons aux alentours et nous pouvons voir les souliers de ballet qu’elle a accrochés à côté de ses photos de Casse-Noisette.

- Oh elle est ballerine ! C’est mon job de rêve ! dis-je à Jacinthe, ma cousine.
- Pour vrai ? Je croyais que tu voulais devenir mécanicienne.
- Pas du tout ! Je ne suis pas manuelle !
- Je me mélange avec ma marraine.

Notre conversion de choix de carrière est interrompue par une sonnerie à la porte et la réception d’un colis. Notre ballerine d’adoption esquisse un sourire intrigué et ouvre délicatement la boîte. Elle lit la carte à voix haute :

« Lily-Marguerite, un immense merci pour ces 8 ans au sein des grands ballets. Que ton futur soit à ton image ! Que le meilleur ! »

Les yeux de Lily s'embrouillent. Elle retire ensuite le papier de soie pour y découvrir une rose éternelle dans un vase transparent. Visiblement émue par le fait que sa carrière tire sa révérence, les larmes coulent sur ses joues. Elle se rend compte que bien qu’elle ait entraîné son corps chaque jour depuis plus de 15 ans, il est mieux qu’elle ne le pousse pas davantage. Nous aimerions pouvoir la consoler, mais nous ne pouvons que lui faire miroiter que la beauté de la vie existe encore. Que la vie offre toujours une multitude d’avenues nouvelles...

Le lendemain matin, Lily-Marguerite, notre ballerine "confi-aimée", se présente au salon avec des vêtements de sport colorés. Elle pose un regard tendre sur nos pétales et nous salue au passage. Elle se dirige ensuite vers son tapis de yoga pour faire quelques salutations au soleil. Elle ajoute une chorégraphie de danse improvisée sur une musique enjouée.

- Comme ça fait du bien au corps et à l’esprit ! s’exclame-t-elle.

Nous sommes « florement » heureuses de la voir épanouie. Et, pendant qu’elle sort prendre une longue marche au soleil, nous pouvons observer la rose éternelle placée à quelques mètres de nous, sur une tablette de la bibliothèque.

- Cette rose ne fanera jamais! Trouvez-vous que c’est injuste? s’interroge Jacinthe.
- Je ne pense pas, répond ma grand-mère. Ces roses subissent un traitement pour retirer toute l’humidité de leurs pétales. Elles sont ensuite congelées et on leur injecte un liquide stabilisateur à base de glycérine...
- Quoi ? Mais ce doit être atroce de vivre cela ! Donc, cette rose a eu un sérieux coup de pouce ; elle a triché la vie !
- En effet, poursuit Iris, son vieillissement ne sera pas freiné... C’est son choix et ne la jugeons pas ! Soyons fières de vivre au naturel ! De toute façon, placée où elle est, elle va attraper la poussière !

Tout le monde éclate de rire. Ce constat nous réconforte et nous permet d’accepter davantage que nous sommes déjà au troisième jour de notre floraison. Nous n’en avons que pour quelques jours avant de faner et de compléter le cycle de notre vie.

Lily-Marguerite nous retrouve au salon après sa ballade vitaminée. Elle s’installe sur le canapé pour lire un roman pendant de longues minutes. Nous la regardons et imaginons l’histoire d’aventure qu’elle découvre passionnément. Notre hôtesse d'adoption dépose ensuite son livre. Elle lit un passage à voix haute :

« Être heureux, c’est savourer les instants de plénitude et pouvoir, lorsque nos cieux sont secoués        par des orages, élargir notre regard vers les endroits où il fait paisible. Fuir la réalité est vain. On        n’efface pas le malheur d’un coup de crayon arc-en-ciel. »
                                                                               - Méditations heureuses sous un cerisier du Japon.

Wow. Nous sommes bouche bée devant cet instant de poésie exceptionnel.

Tout à coup, Lily prend son cellulaire et compose un numéro :

- Allo maman, comment ça va ?
- Bien et toi ?
- Très bien merci. J’ai reçu ma lettre des grands ballets ; c’est officiel pour ma retraite...
- Ahh ! Et comment te sens-tu? As-tu décidé ce que tu allais faire ?
- Je me sens de plus en plus en paix... et je commence à penser à mon avenir, mais je me donne du temps de réflexion.
- C’est sage...
- As-tu besoin de quelque chose à l’épicerie ? Je pourrais aller te le porter demain après-midi.
- De la farine pour faire du pain ! Et de la courge spaghetti!
- C’est tout ? Demande à papa ce qu’il aimerait et envoie-moi votre liste par courriel.
- D’accord, à demain !

Nous déduisons qu'en ce temps de confinement, les gens plus âgés doivent éviter d'aller dans les épiceries. Quelle réalité fascinante : la nature et les humains portent la même fragilité... Une fragilité qui n’est toutefois pas une faiblesse, mais une sagesse qu’il faut préserver. Tout simplement. Le reste de la journée se déroule dans la bonne humeur.

Le deuxième matin, Lily change notre eau et ajouter un mélange de sucre et de vinaigre, une recette de grand-mère pour conserver les fleurs coupées plus longtemps. Elle nous regarde d’un air émerveillé et se décide à faire ses exercices quotidiens. Après son rituel de yoga, elle se lance dans une recherche sur Internet pour trouver des pistes pour une nouvelle occupation, une nouvelle carrière. Les idées fusent, mais ne portent pas fruit. Rien ne la fait vibrer vraiment.

Le matin suivant, elle se lève et joue un peu de piano en pratiquant quelques arpèges. Nous aimons les sons des notes de musique et, bien que nous appréciions le silence, nous la remercions du fond du cœur pour cet instant musical.

Le quatrième matin, nos pétales sont de plus en plus fragiles et commencent à se détacher doucement et à tomber sur la table à café.

- Ah non ! s’exclame Lily, vous êtes si magnifiques, j’aimerais pouvoir vous garder plus longtemps.

Nous sommes d’avis que les humains préfèrent la stabilité et la permanence, mais la nature, elle, s’adapte et accueille le changement et le cycle des saisons. Lily semble nous entendre lui chuchoter cette pensée à l’oreille, car son regard sur le monde se transforme peu à peu. Le reste de sa journée est composé de danse, de lecture et de recettes hautes en saveurs.

Le matin suivant, Lily se lève en chantant. C’est comme si à chaque nouveau matin, elle devenait de plus en plus en paix avec la fin de son ancienne vie de ballerine et la nouvelle vie qui était appelée à naître.

Elle nous contemple quelques secondes même si nous sommes de plus en plus flétries pendant que la rose éternelle, elle, brille de mille feux. Lily récite ensuite toutes les choses pour lesquelles elle ressent de la gratitude.

- Merci pour toute l’abondance et l’amour dans ma vie ! Merci pour tous ceux qui m'entourent ! Merci pour toutes ces années de ballet qui m’en ont fait voir de toutes les couleurs ! Merci pour mes belles tulipes ! Merci la vie !

Nous sommes attendries. Le temps clément lui donne soudain envie d’ouvrir les fenêtres pour la première fois depuis plusieurs longs mois d’hiver. Doucement, arrivent à nous les subtils parfums du printemps. Peu à peu, nous sentons la brise du vent venir chatouiller notre feuillage et nous inviter à danser, nous aussi. Nous nous sentons tellement reconnaissantes pour ce moment de grâce. Ça nous rappelle le mouvement de la vie. Nous nous sentons inspirées pour offrir un cadeau, nous aussi, à Lily. Un poème.

Le ballet des tulipes

Nous, tous confinés
Sur le fil de la vie
Un fil fragile et fort
Rappelons-nous que tout n’est pas annulé
La vie danse encore
Et nous sommes cordialement invités
Telle une ballerine sur le bout de ses souliers
À danser nous aussi
Avec amour et gaité
À se laisser porter par le courant
Et à prendre notre envol

Une étincelle d’idée parvient alors à notre hôtesse. Et si elle devenait fleuriste? Elle pourrait œuvrer pour promouvoir les fleurs et les plantes et, par la même occasion, faire honneur à son prénom ? Oui ! C’est ça ! Elle ressent un sentiment d’euphorie comme lorsqu’elle avait débuté ses cours de ballet. Elle appelle ensuite sa tante pour lui demander si elle pourrait faire un stage à sa boutique de fleurs et jardins.

Voilà que nous sommes témoins de ses premiers pas de ballerine vers un nouveau rêve. Nous sommes ravies et nous applaudissons ensemble aussi fort que son auditoire lors de son tout dernier spectacle de ballet en lui réservant, bien sûr, une ovation mémorable ! 



* Vous avez aimé cette chronique du recueil "Chroniques de fleurs coupées en temps de confinement" ? Si oui, abonnez-vous à ma page d’auteure Genevieve Poulin - auteure et visitez le www.cinqanges.com pour découvrir mes deux premiers romans : Cinq anges dans un 4 ½ et Chroniques du Café Morgane. Doux printemps aux couleurs pastels !*

Commentaires

  1. Wow quel texte rafraîchissant et apaisant. Un baume floral sur ces temps de changements imposés.
    Un peu de douceur, de romance et de légèreté dans cette distance pesante.
    Merci pour ce texte au plaisir d'en déguster un nouveau bientôt...

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  2. Merci Marie-Êve! C'est gratifiant moi de sentir qu'un de mes textes peut faire écho dans la vie des autres! Merci du partage!

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  3. Hey! Moi j'adore ! C'est doux et sensible, et j'aime beaucoup le message que les fleurs envoient à la ballerine sur le temps qui passe. Et la métaphore de la rose éternelle est juste parfaite. Le "en plus elle va prendre la poussière" m'a achevé :)

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    Réponses
    1. Merci Anaël ! Heureuse de te connaître, maintenant !

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